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Moïse

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... Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,

 

 

by Alfred de Vigny

 

Moïse 

 

... Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,

Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

 

Il disait au Seigneur : ' Ne finirai-je pas ? 

Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?

Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre !

Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?

J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu.

Voilà que son pied touche à la terre promise.

De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise,

Au coursier d'Israël qu'il attache le frein ;

Je lui lègue mon livre et la verge d'airain.

 

' Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,

Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,

Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo

Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau ?

Hélas ! vous m'avez fait sage parmi les sages !

Mon doigt du peuple errant a guidé les passages

J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois ;

L'avenir à genoux adorera mes lois ;

Des tombes des humains j'ouvre la plus antique,

La mort trouve à ma voix une voix prophétique,

Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations,

Ma main fait et défait les générations.

 

Hélas ! je suis, Seigneur, puissant et solitaire,

Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre !...

 

... ' Sitôt que votre souffle a rempli le berger,

Les hommes se sont dit : ' Il nous est étranger ' ;

Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,

Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme.

J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir ;

Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.

M'enveloppant alors de la colonne noire,

J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,

Et j'ai dit dans mon coeur : Que vouloir à présent ?

Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,

Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche,

L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche ;

Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous,

Et, quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux.

Ô Seigneur ! j'ai vécu puissant et solitaire,

Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! ' 

 

 

La colère de Samson

 

 

Le désert est muet, la tente est solitaire.

Quel Pasteur courageux la dressa sur la terre

Du sable et des lions? - La nuit n'a as calmé

La fournaise du jour dont l'air est enflammé.

Un vent léger s'élève à l'horizon et ride

Les flots de la poussière ainsi qu'un lac limpide.

Le lin blanc de la tente est bercé mollement ;

L'oeuf d'autruche allumé veille paisiblement,

Des voyageurs voilés intérieure étoile,

Et jette longuement deux ombres sur la toile.

 

L'une est grande et superbe, et l'autre est à ses pieds :

C'est Dalila, l'esclave, et ses bras sont liés

Aux genoux réunis du maître jeune et grave

Dont la force divine obéit à l'esclave.

Comme un doux léopard elle est souple, et répand

Ses cheveux dénoués aux pieds de son amant.

Ses grands yeux, entr'ouverts comme s'ouvre l'amande,

Sont brûlants du plaisir que son regard demande,

Et jettent, par éclats, leurs mobiles lueurs.

Ses bras fins tout mouillés de tièdes sueurs,

Ses pieds voluptueux qui sont croisés sous elle,

Ses flancs plus élancés que ceux de la gazelle,

Pressés de bracelets, d'anneaux, de boucles d'or,

Sont bruns ; et, comme il sied aux filles de Hatsor,

Ses deux seins, tout chargés d'amulettes anciennes,

Sont chastement pressés d'étoffes syriennes.

 

Les genoux de Samson fortement sont unis

Comme les deux genoux du colosse Anubis.

Elle s'endort sans force et riante et bercée

Par la puissante main sous sa tête placée.

Lui, murmure ce chant funèbre et douloureux

Prononcé dans la gorge avec des mots hébreux.

Elle ne comprend pas la parole étrangère,

Mais le chant verse un somme en sa tête légère.

 

' Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu

Se livre sur la terre, en présence de Dieu,

Entre la bonté d'Homme et la ruse de Femme.

Car la Femme est un être impur de corps et d'âme.

 

L'Homme a toujours besoin de caresse et d'amour,

Sa mère l'en abreuve alors qu'il vient au jour,

Et ce bras le premier l'engourdit, le balance

Et lui donne un désir d'amour et d'indolence.

Troublé dans l'action, troublé dans le dessein,

Il rêvera partout à la chaleur du sein,

Aux chansons de la nuit, aux baisers de l'aurore,

A la lèvre de feu que sa lèvre dévore,

Aux cheveux dénoués qui roulent sur son front,

Et les regrets du lit, en marchant, le suivront.

Il ira dans la ville, et là les vierges folles

Le prendront dans leurs lacs aux premières paroles.

Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu,

Car plus le fleuve est grand et plus il est ému.

Quand le combat que Dieu fit pour la créature

Et contre son semblable et contre la Nature

Force l'Homme à chercher un sein où reposer,

Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser.

Mais il n'a pas encor fini toute sa tâche. -

Vient un autre combat plus secret, traître et lâche ;

Sous son bras, sous son coeur se livre celui-là,

Et, plus ou moins, la Femme est toujours DALILA.

 

Elle rit et triomphe ; en sa froideur savante,

Au milieu de ses soeurs elle attend et se vante

De ne rien éprouver des atteintes du feu.

A sa plus belle amie elle en a fait l'aveu :

' Elle se fait aimer sans aimer elle-même.

' Un Maître lui fait peur. C'est le plaisir qu'elle aime,

' L'Homme est rude et le prend sans savoir le donner.

' Un sacrifice illustre et fait pour étonner

' Rehausse mieux que l'or, aux yeux de ses pareilles,

' La beauté qui produit tant d'étranges merveilles

' Et d'un sang précieux sait arroser ses pas. '

 

- Donc ce que j'ai voulu, Seigneur, n'existe pas. -

Celle à qui va l'amour et de qui vient la vie,

Celle-là, par Orgueil, se fait notre ennemie.

La Femme est à présent pire que dans ces temps

Où voyant les Humains Dieu dit : Je me repens !

Bientôt, se retirant dans un hideux royaume,

La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome,

Et, se jetant, de loin, un regard irrité,

Les deux sexes mourront chacun de son côté.

 

Eternel ! Dieu des forts ! vous savez que mon âme

N'avait pour aliment que l'amour d'une femme,

Puisant dans l'amour seul plus de sainte vigueur

Que mes cheveux divins n'en donnaient à mon coeur.

- Jugez-nous. - La voilà sur mes pieds endormie.

- Trois fois elle a vendu mes secrets et ma vie,

Et trois fois a versé des pleurs fallacieux

Qui n'ont pu me cacher a rage de ses yeux ;

Honteuse qu'elle était plus encor qu'étonnée

De se voir découverte ensemble et pardonnée.

Car la bonté de l'Homme est forte, et sa douceur

Ecrase, en l'absolvant, l'être faible et menteur.

 

Mais enfin je suis las. - J'ai l'aine si pesante,

Que mon corps gigantesque et ma tête puissante

Qui soutiennent le poids des colonnes d'airain

Ne la peuvent porter avec tout son chagrin.

 

Toujours voir serpenter la vipère dorée

Qui se traîne en sa fange et s'y croit ignorée ;

Toujours ce compagnon dont le coeur n'est pas sûr,

La Femme, enfant malade et douze fois impur !

- Toujours mettre sa force à garder sa colère

Dans son coeur offensé, comme en un sanctuaire

D'où le feu s'échappant irait tout dévorer,

Interdire à ses yeux de voir ou de pleurer,

C'est trop ! - Dieu s'il le veut peut balayer ma cendre,

J'ai donné mon secret ; Dalila va le vendre.

- Qu'ils seront beaux, les pieds de celui qui viendra

Pour m'annoncer la mort ! - Ce qui sera, sera ! '

 

Il dit et s'endormit près d'elle jusqu'à l'heure

Où les guerriers, tremblant d'être dans sa demeure,

Payant au poids de l'or chacun de ses cheveux,

Attachèrent ses mains et brûlèrent ses yeux,

Le traînèrent sanglant et chargé d'une chaîne

Que douze grands taureaux ne tiraient qu'avec peine,

La placèrent debout, silencieusement,

Devant Dagon leur Dieu qui gémit sourdement

Et deux fois, en tournant, recula sur sa base

Et fit pâlir deux fois ses prêtres en extase ;

Allumèrent l'encens ; dressèrent un festin

Dont le bruit s'entendait du mont le plus lointain,

Et près de la génisse aux pieds du Dieu tuée

Placèrent Dalila, pâle prostituée,

Couronnée, adorée et reine du repas,

Mais tremblante et disant : IL NE ME VERRA PAS !

 

Terre et Ciel ! avez-vous tressailli d'allégresse

Lorsque vous avez vu la menteuse maîtresse

Suivie d'un oeil hagard les yeux tachés de sang

Qui cherchaient le soleil d'un regard impuissant ?

 

Et quand enfin Samson secouant les colonnes

Qui faisaient le soutien des immenses Pylônes

Ecrasant d'un seul coup sous les débris mortels

Ses trois mille ennemis, leurs Dieux et leurs autels ? -

 

Terre et Ciel ! punissez par de telles justices

La trahison ourdie en es amours factices

Et la délation du secret de nos coeurs

Arraché dans nos bras par des baisers menteurs ! 

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